Introduction au Bouddhisme - Trinlay Rinpoché

Introduction au bouddhisme : les quatre nobles vérités.
 
Résumé de l'élocution de
Trinlay Rinpoche au centre bouddhique de Perpignan le 19 juin 2011.
 
 
 
 
Introduction :
 
Le premier sermon prononcé par Siddhārtha Gautama (566-486 env.) à Sarnath devant ses cinq anciens compagnons d’ascèse résume les fondements de la voie bouddhique. Le Bouddha ou l’Éveillé y présente, tel un médecin universel, quatre nobles vérités (āryasatya) selon un schéma médical : diagnostic, étiologie, pronostic et thérapeutique que nous résumerons ici. Il ne s’agit pas d’une révélation divine invérifiable, mais d’une découverte. Dès lors il nous faut non pas y croire aveuglement, mais au contraire examiner et chercher à voir ces vérités par nous-mêmes.
 
 
Diagnostic du mal-être de notre condition présente :
 
L’existence telle que nous la connaissons est marquée par trois caractéristiques. Elle est douloureuse, transitoire, et conditionnée.
 
1)   
Le mal-être de la douleur :
Notre existence est marquée par la douleur, car nous subissons inévitablement et nécessairement les douleurs d’ordre physique telles la maladie, la vieillesse et la mort, mais aussi les douleurs d’ordre moral ou psychique : ne pas obtenir ce que l’on veut, obtenir ce que l’on ne veut pas, insatisfactions, séparations, pertes, déceptions, malheurs, etc.
 
2)   
Le mal-être de l’impermanence :
Notre existence est également transitoire, c’est-à-dire que rien ne perdure, tout est passager. Tout passe, tout casse… Ainsi aucun plaisir, gain, union ou honneur n’est véritablement acquis. On ne peut dès lors s’en remettre à eux, car bien qu’ils puissent procurer une certaine satisfaction conditionnelle, ils sont en réalité promesse d’insatisfaction future du fait de la nature éphémère des phénomènes composés.
 
3)   
Le mal-être immanent :
Notre existence présente est conditionnée. Le fait même qu’elle soit conditionnée est son mal-être immanent, car ce qui est conditionné n’est pas libre. C’est le caractère conditionné et composé des phénomènes externes et internes. Ainsi quand bien même tous nos désirs seraient comblés nous aurions toujours un sentiment d’incomplétude.
 
C’est pourquoi notre vie présente est marquée par « duḥkha » selon les mots du Bouddha. Ce terme sanskrit difficile à traduire désigne à la fois l’insatisfaction, la souffrance, les tourments, le mal-être… Le Bouddha nous invite à faire ce diagnostic réaliste, car trop souvent nous nous méprenons à chercher notre salut là où il n’y a en réalité que « duḥkha »  ou ses sources.
 
 
Étiologie du mal-être :
 
Maintenant que le mal-être a été précisément identifié, il nous faut savoir quelles sont ses sources ; ses causes et conditions, sans quoi il sera impossible de se prononcer sur une possible guérison et sur les remèdes appropriés. Selon le Bouddha cette existence conditionnée marquée par « duḥkha » ne peut pas se manifester sans cause, ni par ce qui ne peut pas être sa cause, tel Dieu, le Soi, le temps, etc.
Elle a pour causes les actes (karma) et surtout les afflictions (kleśa) qui les motivent. En ce sens, elle procède de la méprise de notre esprit à son propre sujet. Notre esprit égaré s’aliène lui même et ne demeure pas dans sa liberté et sa quiétude naturelles.
 
1)   
Les actes :
Par acte il faut entendre d’une part volition, car c’est en voulant que l’on accomplit une action par le corps, la voix ou la pensée et d’autre part il faut l’entendre au sens du mot œuvre, car un acte implique toujours des conséquences. Les conséquences sont heureuses ou malheureuses selon la nature de l’acte. Nos sentiments, nos pensées et nos actions passés ont déterminé ce que nous sommes aujourd’hui et les sentiments, pensées et actes présents déterminent ce que nous deviendrons.
 
2)   
Les afflictions :
Les écritures bouddhiques mentionnent jusqu'à 84 000 sortes d’afflictions, mais elles peuvent êtres ramenées à trois afflictions basiques ou fondamentales communément appelées « trois poisons » : l’ignorance, l’attirance et l’aversion. Il est question « d’afflictions » pour ces facteurs mentaux associés à l’esprit (caitta) car tout ce qu’elles induisent et tout ce qu’elles nous font éprouver ou subir est de l’ordre de « duḥkha », le mal-être.
L’ignorance (avidya) relève d’une méprise de l’esprit à son propre sujet. C’est l’ego, c’est-à-dire cette croyance instinctive et a priori que nous avons tous en l’existence de notre Soi. Ce sentiment du moi induit l’amour propre et nous laisse l’impression d’être Un, éternel, supérieur, précieux, propre… Or cette croyance instinctive est infondée, car aucun examen approfondi ne nous permet de relever l’existence véritable et indépendante d’un Soi correspondant à notre impression. Cette impression infondée du moi que nous entretenons donne lieu néanmoins au sentiment du mien ; ce qui est à moi ; la propriété. Elle permet ainsi l’attirance pour l’agréable en vue de s’en approprier de même que l’aversion pour le désagréable en vue de s’en défaire. Ces deux sentiments sont dans leurs expressions basiques le désir et la haine. Quiconque éprouve de l’aversion ressent immédiatement un mal-être. L’attirance est plus sournoise, car elle promet un plaisir. Cependant, elle révèle, si l’on regarde bien, une insatisfaction, une incomplétude par laquelle l'on met sa quiétude au conditionnel. Ainsi lorsque l’on éprouve une attirance l’on éprouve un mal-être. 
L’ignorance est plus subtile encore, c’est en un sens la toile de fond. Elle n’est pas directement ressentie comme mal-être, mais elle est ce qui le permet.  
 
Tributaires de nos afflictions, nous méprenant sur notre propre sujet par l’ego nous errons dans l’illusion à la recherche du bien-être en ne cultivant bien souvent que les sources du mal-être. Ainsi il n’y a aucune origine extérieure au mal-être, il n’est qu’un produit dérivé et illusoire de notre ignorance. Sa perpétuité ou sa cessation ainsi que ses conséquences ne dépendent que de nous-mêmes.
 
 
Pronostic sur la cessation de « duḥkha » :
 
Le « duḥkha » ou mal-être n’étant que le fruit d’une illusion adventice, il peut être entièrement éliminé. Si l’on élimine les causes, on en élimine les conséquences. Ainsi quand les racines de l’existence conditionnée, à savoir les afflictions, seront dissipées par la force de la sagesse (prajñā) cultivée sur la voie, libre désormais de toutes illusions, l’Éveil est actualisé à l’image de celui qui s’éveille d’un rêve. C’est la cessation de tout mal-être et la délivrance de l’existence conditionnée (saṃsāra), c’est la paix réelle, la perfection naturelle, la vraie liberté et l’omniscience ; c’est le nirvāṇā dont la nature ultime est ineffable et inconcevable.
 
 
Thérapeutique pour guérir du mal-être :
 
La prescription du Bouddha est avant tout contemplative. Elle est à la portée de tous. Correspondant à nos aptitudes et notre progression sur la voie vers l’Éveil de nombreuses méthodes nous ont été transmises, mais elles peuvent toutes être incluses dans trois catégories de remèdes : la discipline morale (śīla), l’entrainement contemplatif (samādhi) et le développement de la connaissance ultime (prajñā).
 
1)   
La connaissance :
Antidote à l’ignorance, la connaissance est double. D’une part le fruit des savoirs communs, tels les sciences, les techniques, les médecines, etc. peuvent nous aider à servir autrui et surmonter des difficultés ordinaires s’ils sont au service d’une motivation altruiste et bienveillante. Puis, d’autre part, la connaissance ultime, sagesse ou prajñā permet de percer le mystère de notre esprit et de l’existence. Il s’agit là de reconnaître la vacuité et la coproduction conditionnée des phénomènes. Cette dernière forme de connaissance nous libère de toutes les méprises et illusions au sujet de la réalité et de nous mêmes. C’est une connaissance non duelle au-delà de la saisie sujet / objet.  Le développement de ce discernement suit trois étapes : écoute des instructions sur son sujet, réflexion personnelle analytique et rationnelle puis son application dans l’entrainement contemplatif. La connaissance ultime est la source directe de l’Éveil.
 
2)   
La contemplation :
Antidote aux afflictions et à la distraction, l’entrainement contemplatif permet d’atteindre une quiétude intérieure et une clarté d’esprit parfaite qui servira de fondation pour prajñā. Ainsi il y a essentiellement deux formes d’entrainements contemplatifs : celle de la quiétude et celle dans un deuxième temps du discernement.
 
3)   
La discipline morale :
Antidote aux actes négatifs (ceux inspirés par les afflictions) la discipline morale permet d’atteindre le bien-être relatif au sein de l’existence conditionnée et établit les conditions favorables pour l’entraînement contemplatif et le développement de la connaissance ultime. Essentiellement, il s’agit de l’adoption de la non-violence et de l’amour universel et concrètement il s’agit de s’abstenir des dix actes immoraux : le meurtre, le vol, les transgressions sexuelles, le mensonge, la calomnie, l’injure, le commérage, la convoitise, la malveillance et les vues erronées.
 
 
Conclusion :
 
L’enseignement des quatre nobles vérités constitue la base commune des différentes branches du bouddhisme à travers le monde. Dans ce survol rapide des points importants de ce premier sermon prononcé par le Bouddha nous aurons pu voir au moins le caractère pragmatique et rationnel du bouddhisme qui vise la cessation du mal-être par le dépassement des illusions à travers une pratique essentiellement contemplative et altruiste fondée sur l’amour et le discernement.  
 
 
 
 
Siddhārtha Gautama (566-486 env.)
© 2016 Karma Euzer Ling